En rédigeant ma petite histoire du demomaking CPC, je suis tombé sur un os : Gozeur, l'un des leaders du onescreen hard du début des années 1990, n'a que très peu été interviewé par ses contemporains. L'occasion d'y remédier !
AW - Bonjour Gozeur... ou "Papy" Gozeur ? Peux-tu brièvement te présenter ? Question inévitable : quand et comment as-tu débuté le CPC ? Quelle est ta situation actuelle ?
Gozeur - Dans la vraie vie je m'appelle Renaud, j'ai aujourd'hui 42 ans et, Oh surprise, je travaille dans l'informatique ! Une partie de mon travail consiste à optimiser des codes de calcul. On ne se refait pas. J'ai eu mon CPC en 1989. Ça faisait déjà quelques années que j'étais passionné par la micro-informatique qui était encore balbutiante à l’époque. Et dès le début (je devais avoir 10 ans), j'ai été fasciné par la programmation. J'ai commencé à écrire mes premiers programmes en BASIC sur Hector 2HR+, puis sur Thomson TO7 et TO8 et enfin le CPC 6128. Le basculement a eu lieu lorsque j'ai fait la connaissance de "The Famous CACH". Il m'a parlé des "techniques de malade" utilisées par les démo-makers de l'époque, comme changer la couleur du border pour faire des rasters (folie !). Ça m'a fait rêver et j'ai voulu faire pareil. Il m'a donné une photocopie d'un bouquin pour apprendre à programmer en assembleur Z80 et c'était parti ! J'ai passé des soirées et des weekends avec ce bouquin, apprenant sur le tas à écrire mes premiers programmes avec DAMS. J'ai sorti ma première démo en 1990, j'avais 15 ans. Le résultat était bien pourri ! Comme les 3 ou 4 suivantes d'ailleurs. C'était surtout pour me faire la main et apprendre à maîtriser la bête.
AW - Début 1990, tu as diffusé une documentation CRTC assez complète aux membres de Paradox. Qu'est-ce qui a motivé cette démarche ? D'où provenaient tes informations ? Avais-tu beaucoup d'échanges techniques avec d'autres codeurs à cette période ?
Gozeur - Le document date de 1992 il me semble. A la base, il était uniquement destiné aux membres de Paradox, mais il a largement fuité ! L'idée était de mettre à niveau les membres du groupe sur le CRTC, afin de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et de sortir collectivement de meilleures démos. Les informations proviennent de choses que j'ai piochées à droite et à gauche, d'expérimentations personnelles, mais surtout, de mes échanges avec Overflow. Nous avons eu une correspondance très suivie durant quelques années et il m'a enseigné les techniques avancées, notamment la RVI, tout en me permettant de parfaire ma connaissance générale du CRTC. Sans l'aide d'Overflow, il m'aurait fallu plusieurs années d'expérimentation pour redécouvrir par moi-même ce que Longshot et Overflow avaient eux-même mis des années à découvrir. Mais avant cela, c’est grâce à l’équipe de NDC et notamment Bunny et Strooki, que j’ai fait mes premières armes sur le CRTC. Ils m’ont apporté les bases qui m’ont permis d’expérimenter de mon côté et ainsi de progresser. J’échangeais beaucoup avec tout ce petit monde, par courrier principalement et par... Minitel !
AW - Peux-tu nous parler de la megademo abandonnée Obsession du groupe Paradox ? La Madness était-elle la partie que tu prévoyais de proposer ? Y'avait-il d'autres parties en cours ou terminées ?
Gozeur - Pour être honnête, je n'ai plus aucun souvenir d'un projet de méga-demo du nom de Obsession ! La Madness devait être une méga-démo du groupe Contrast, mais finalement, seule ma partie est sortie. C’est bien dommage car certains membres du groupe, comme Titan et Goliath notamment, avaient un sacré talent et avaient de superbes previews.
AW - Madness Demo était sans doute avec S&KOH le onescreen le plus technique de l'époque (<95). Peux-tu nous faire un petit historique de la genèse de cette demo ? Quel était ton objectif ?
Gozeur - Mon objectif était simple et probablement le même que celui des autres démo-makers : faire la meilleure démo possible ! Je pense que tous les démo-makers avaient un problème d’ego ou de manque de reconnaissance et qu’ils cherchaient à briller au travers de leurs créations. Je n’ai jamais été très égotique, par contre, il est clair que je cherchais une forme de reconnaissance. De plus, la plupart des démomakers étaient très jeunes, c’était des adolescents ou de jeunes adultes. C’est un âge compliqué pour l’estime de soi. Certains cherchaient à briller sur un terrain de foot, nous c’était devant un clavier. La genèse de cette démo a été particulièrement douloureuse. Je voulais mettre en pratique tout ce que j’avais appris sur les techniques avancées de programmation du CRTC. Mais je n’avais pas encore la maîtrise et le recul d’un Longshot ou d’un Overflow. J’ai passé des dizaines ou des centaines d’heures à régler les ruptures et à me battre pour faire tenir tout le code en mémoire. J’avais l’impression que je n’y parviendrais jamais et j’ai fini par sortir la démo alors qu’il y avait encore quelques petits problèmes de synchro et que je n’avais pas pu faire la compatibilité CRTC 0/1. J’avais imaginé plein d’autres effets, mais je n’avais plus l’énergie pour les inclure
AW - Tes demos et celles d'Overflow semblaient entretenir une forme d'émulation réciproque. Je pense aux deux précédemment citées, mais aussi aux intros de Maxi-Micro 8 et The Other World 3, par exemple. Quelle était la nature de vos rapports ? Y avait-il une compétition féroce entre les codeurs pour innover à l'époque ? Ou était-ce une compétition de façade, contrebalancée par une grande entraide aux meetings ou par courrier ?
Gozeur - Ton analyse est très juste. Comme je l’évoquais précédemment, Overflow et moi avions une correspondance très active. Cela avait pourtant très mal démarré car Olivier avait commencé à m’écrire pour me dire tout le mal qu’il pensait de mon travail ! Autant dire que je ne l’ai pas très bien pris. Mais il était juste factuel dans ses propos et sur le fond, il n’avait pas forcement tort, jusqu’alors mes productions n’étaient pas très reluisantes. Toutefois, le coucher comme ça à froid sur papier n’était pas la meilleure manière de prendre contact. Mais après quelques explications, j’ai compris que son intention n’avait pas été de me blesser, mais de nouer le contact avec un codeur qu’il estimait et avec qui il souhaitait avoir des échanges constructifs. Et ce fut le cas. Une saine compétition s’est alors installée entre nous. La Madness faisait suite à S&KOH, tandis que l’intro de The Other World 3 venait en réaction de l’intro pour Maxi-Micro 8. On discutait technique, on se challengait sur certaines routines, mais il finissait toujours par avoir le dernier mot. Les rares fois où je proposais un truc nouveau qui le surprenait, il faisait la même chose mais en mieux un mois plus tard ! J’ai très peu participé à des meetings. J’étais encore très jeune et ce n’était pas simple de se déplacer, d’autant plus que je n’avais pas forcément les moyens de payer les voyages. J’ai toutefois fait plusieurs meetings à Strasbourg, avec l’équipe de Maxi-Micro / Contrast. Je ne suis allé à Euromeeting qu’une seule fois, c’était en 92 à Reims.
AW - Tu étais souvent très critique vis-à-vis des Logon System ou de SSM (Stéphane Saint-Martin) dans tes scrollings (Gozeur Demo 5, Paradise Demo) répétant ta préférence pour Fefesse. Quelle était l'origine de cette bisbille ? Vous êtiez-vous rencontrés à l'Euromeeting ?
Gozeur - Il ne faut pas donner trop de poids aux propos d’un jeune homme en fin de puberté ! A l’époque, c’était « à la mode » de dire du mal de Longshot, alors je faisais comme tout le monde, je suivais bêtement le mouvement. Honnêtement, je n’avais strictement rien contre lui, j’étais même plutôt admiratif. A mes débuts, je regardais ses démos en boucle en me disant « un jour, je ferai la même chose ». Ensuite ça a été les Malibu, puis Overflow. Les démos de Fefesse étaient généralement moins techniques, mais il avait une patte bien à lui que j’aimais bien.
AW - Tes démos étaient, comme la plupart des démos françaises de l'époque, presque toujours basées sur des techniques "hardware". As-tu envisagé d'autres effets "software", suivant l'exemple des Allemands (Face Hugger, Alien, etc.) ?
Gozeur - Effectivement, les démos hardware étaient une spécialité française et je pense que l’on peut dire que ces techniques nous ont permis de dominer la scène de l’époque. Et un jour les Allemands ont débarqué (notamment Face Hugger) en disant « les vrais codeurs, ils font des démos soft, le hard c’est pour les lopettes ! ». Bon, je ne suis pas certain qu’il ait exactement dit ça, mais c’était l’idée ! Ça a lancé une nouvelle mode à laquelle je n’ai jamais participé. Il s’agissait de techniques très différentes, pour lesquelles je n’étais pas forcement doué. Toutefois, ça m’avait donné l’idée de mélanger des techniques soft et hard pour obtenir des effets encore plus sympas, mais je n’ai jamais eu l’occasion de mettre tout ça en pratique, car c’est à ce moment-là que j’ai commencé à me désintéresser du CPC. On peut toutefois considérer que mon sinus-scroll pour Maxi-Micro 8 ou certains effets de la Madness étaient un début de mélange de techniques hard et soft.
AW - Qu'en était-il du groupe Golden Brothers, que tu as formé avec Mig, SKF et Duffy ? Un seul jeu semble être sorti (Crazy Ball), mais tu mentionnes aussi "Haougan" dans la Gozeur Demo 5, un jeu de combat affichant des prouesses techniques impressionnantes. Le développement était-il avancé ? Aviez-vous l'intention de chercher un éditeur ?
Gozeur - Nous n’avons effectivement sorti qu’un seul jeu, qui avait été publié sous la forme d’un listing dans le magazine CPC infos. Pour Haougan, j’avais réussi à mettre au point des routines pour gérer ce que l’on considérait comme des gros sprites à l’époque, grâce à un masquage astucieux du fond et des techniques d’affichage utilisant la pile et des astuces sur la largeur de l’écran (si je me souviens bien). Mais je devais relancer Mig et SKF en permanence pour obtenir des graphs et de mon coté je galérais pour gérer l’IA du jeu. Ça peut paraître tout bête aujourd’hui, surtout que les IA de l’époque étaient ultra basiques, mais c’était quelque chose de nouveau pour moi, qui me donnait beaucoup de fil à retordre. Au final, le projet n’a jamais abouti. On avait également un projet de shoot’em’up en scrolling vertical à la Xenon 2 (sur Amiga), dans lequel j’avais tenté d’intégrer Overflow, sans succès.
AW - Tony / Contrast indique dans Maxi Micro 9 advert que tu avais mis au point des routines FDC pour le prochain numéro de son discmag. Est-ce que tu as des souvenirs à ce propos ? Etaient-elles prévues uniquement pour le fanzine ou aussi pour de futures demos ou megademos ?
Gozeur - Ouh là, tu touches aux limites de ma mémoire sur ce coup là ! Je me souviens effectivement avoir bossé sur le FDC pour apprivoiser la bête dans l’espoir de faire des loaders musicaux ou au moins animés. J’ai souvenir d’avoir recodé des loaders, d’avoir bidouillé la taille des secteurs, par contre je ne me souviens plus jusqu’où j’étais allé dans mes travaux sur le sujet. Si je n’ai rien sorti, c’est sûrement que ce n’était pas encore au point. Je ne me serais pas privé sinon !
AW - Peux-tu nous dire dans quel contexte tu as arrêté tes activités sur CPC ? Sur quoi étais-tu en train de travailler à ce moment ? As-tu conservé des previews de l'époque, et si oui, as-tu envisagé de les diffuser comme Overflow l'avait fait ?
Gozeur - J’ai arrêté vers 1993 / 1994. Je commençais à en avoir un peu marre, je testais de nouvelles choses sur Amiga (sans réel succès, j’avais trop de retard sur ce qui se faisait déjà sur cette scène) et j’entrais en fac. De nouvelles amitiés, de nouvelles relations, les fêtes étudiantes, tout cela a eu raison du temps que je consacrais au CPC. Et un jour, j’ai fini par tout plaquer. En général, lorsque je me lasse de quelque chose, c’est brutal et définitif. C’est ce qui s’est produit. J’avais quelques previews, mais pas grand-chose de bien extraordinaire. Le squelette technique du jeu Haougan, des routines de RV / RVI, des essais de 3D pas très concluants… Rien qui ne méritait de passer à la postérité. J’ai tout jeté.
AW - Quelques CPCistes ont pu te croiser à l'Amstrad Expo 2000, où tu étais venu faire un tour. Quel est ton rapport au CPC et à la scène CPC depuis cette époque ? Te tiens-tu informé des nouvelles sorties ?
Gozeur - Comme je le disais précédemment, quand je me lasse de quelque chose, c’est définitif. Depuis le milieu des années 90, je n’ai plus touché à un CPC et j’ai arrêté de suivre l’évolution de la scène. Il m’est toutefois arrivé de me faire quelques « shoots » nostalgiques, comme mon déplacement à l’Amstrad Expo 2000 ou simplement en regardant de vieilles démos sur émulateur ou quelques démos plus récentes, qui m’ont d’ailleurs bien scotché. Mais rien de plus.
AW - Merci de nous avoir accordé de ton temps, le dernier mot est pour toi !
Gozeur - Rien de plus à ajouter, si ce n’est un grand merci à toi. Répondre à cette interview m’a procuré un nouveau shoot nostalgique bien sympa. Je me suis replongé avec plaisir dans le monde des démos CPC et le courrier échangé à l’époque, que je garde religieusement malgré tout. Et comme cela se faisait dans les démos, je vais saluer les amis de la grande époque : Tony, Johnny, Titan, Goliath, RDK, Mig, SKF, Ynexis, ZZ Top, Syndrome, Duffy, Bunny, Strooki, Overflow, Grees, New Sky, CMP et tous ceux que j’oublie forcement.